Quand l'agneau devient loup.

 

 

Lorsque les soldats alliés entrèrent en 1945 dans les camps de concentration nazis, ils comprirent le terrible sens de l'avertissement de Goebels à l'arrivée du national socialisme en Allemagne.

Ils découvrirent l'horreur de l'extermination d'un peuple dont les images font partie de la mémoire de l'Humanité.

Que fallait-il faire de tous ces Juifs persécutés qui, n'ayant plus de patrie, attendaient dans leurs nouveaux camps de réfugiés à Chypre ?

Des Allemands prétendent qu'on aurait dû leur donner une de leurs régions comme territoire, mais dans l'Europe antisémite de la seconde guerre mondiale, y avait-il la place pour la reconnaissance d'un nouvel état juif?

Il fut plus simple d'envoyer ailleurs ces symboles vivants de la barbarie humaine, ce qui correspondait d'ailleurs à la continuité d'un appel lancé près de trente ans auparavant et qui a vu ainsi, la même année que la déclaration universelle des droits de l'Homme, accélérer son aboutissement avec l'injustice inouïe qui a accompagné la création de l'état d'Israël. Pendant plus de quarante ans, les Israéliens ont dépouillé le peuple palestinien dans l'impunité la plus complète grâce à l'épouvantail de l'antisémitisme qu'ils avaient subi en Europe, reportant ainsi la vengeance des sévices subis sur leurs voisins, poussés en cela par leur racisme que l'on peut résumer en cette simple phrase 'le sang arabe ne compte pas'.

La tache d'huile israélienne s'est peu à peu étendue à la surface actuelle, plus les territoires occupés peut-être bientôt annexés, au fil des crises politiciennes où l'armée avance de quelques kilomètres pour reculer ensuite de quelques centaines de mètres sous la pression internationale.

Que peut faire une armée neutre d'observateurs contre un état qui s'ingénie à la ridiculiser par des provocations auxquelles elle n'a pas le droit de répondre, et ne peut que rendre compte des exactions contre une population enfermée dans l'immense camp de concentration de la bande de Gaza? Les tests de résistance des foetus aux coups de matraque dans le ventre de leur mère, des avant-bras d'enfants, ou des civils enterrés vivants sont-ils de quelque intérêt pour la médecine ?

Peut-être y a-t-il une petite Anne qui tient un journal, futur témoignage de la barbarie Israélienne pendant l'Intifada qui fait parfois penser à la révolte du ghetto de Varsovie...

Il est effarant de constater l'attitude penaude et les diverses déclarations attristées des autorités ouest-allemandes lors de la première visite en 1987 du chef d'état israélien, représentant d'un pays qui a peut-être déjà autant de morts sur la conscience par habitant que chaque Allemand pendant la dernière guerre.

N'est-ce pas dû aux à-coups de l'Histoire qui a perdu provisoirement sa logique après 1945 ?

Car si les soviétiques, qui au poids des morts pèsent plus lourd que les Juifs, ont compensé leurs vingt millions de pertes par les dix-huit millions d'otages est-allemands et les deux millions d'ouest berlinois en liberté surveillée, les Israéliens juifs font racheter le Karma du peuple allemand par leurs voisins arabes, grâce à la lâcheté politique internationale du fait de ce qu'ont subi les déjà grands-parents des militaires Israéliens.

Leur génie est peut-être de se poser en victime pour justifier leurs 'attaques préventives', prétextes aux diverses chasses à l'hommes où ils tuent 'tout' ce qui se trouve sous leur hélicoptère, ou s'entraînent en bombardant les écoles arabes pour tuer un ou deux Palestiniens et quelques dizaines d'enfants libanais...

Est-ce dans l'interprétation de leur religion qu'ils trouvent l'inspiration d'allumer partout les feux de la haine selon leur principe de 'diviser pour mieux régner', comme ils l'ont fait au Liban en 1982, lorsque, aidés par leurs alliés qui se déclaraient ouvertement de l'idéologie nazie, il exécutaient aux barrages routiers tous ceux qui n'étaient pas chrétiens, ou que leurs tanks situés entre deux villages druze et chrétien tiraient simultanément sur ceux-ci pour déclencher la guerre ?

Quand on voit les travailleurs palestiniens en Israël munis d'une marque extérieure pour mieux les reconnaître, on ne peut que s'interroger sur le sens de l'attitude de leurs bourreaux. Est-ce une réaction pavlovienne ou un transfert psychologique ? Des religieux maronites ont peut-être la réponse, lorsqu'on leur demande quel est le problème du proche Orient, 'c'est Israël... ils n'aiment personne, ces gens là...'.

Les Israéliens avaient comme excuse à leur paranoïa la terrible expérience du peuple Juif, que même leurs adversaires admettent, mais leur vengeance sur l'Humanité par le biais des Arabes les ramène à un peuple barbare, ce qui prouve bien qu'une communauté qui se place au-dessus des lois de l'Homme ne fait que se rabaisser. Il est temps que les Israéliens sachent qu'ils ne peuvent pas faire tout ce qu'ils veulent au proche Orient. Car déjà des voix murmurent qu'Hitler avait peut-être raison lorsqu'il dénoncait le danger juif. L'injustice ne s'éteint pas avec le temps, mais s'accumule pour éclater au moment opportun comme le montrent les divers mouvements des peuples opprimés lors du remodelage des blocs politiques.

Le jour ou une organisation terroriste ou politique déposera sous New York, Paris ou Tel Aviv une bombe atomique ou chimique, artisanale ou empruntée aux arsenaux officiels, il sera trop tard pour réparer pacifiquement le passé. Les victimes ne seront en aucun cas des martyrs puisqu'appartenant à des démocraties et par là même responsables des actes politiques de leurs représentants élus.

Cette nouvelle flambée de violence sera le début de l'ère du compteur Geiger et du masque à gaz. Elle ne cessera que par la mise en place d'un nouvel ordre mondial ou l'explosion de la planète si l'on en croit les déclarations tonitruantes promettant une riposte cent fois supérieure à l'attaque, pourquoi pas dix mille ?

Quelle ironie que ce soit un membre de la communauté juive qui déclenche l'explosion finale, l'élève n'aurait-il pas alors dépassé le maître ?

Pour le Liban qui représente l'antithèse d'Israël par le mélange de dix-huit communautés religieuses, pays de la tolérance et du bien-être, mais véritable poudrière par les fléaux qui s'entrechoquent sur ce paradis transformé en enfer.

Pour ce pays que l'on nous sert entre deux séries criminelles et quelques publicités avec des images qui se veulent sensationnelles mais ne font que ressembler à celles des autres conflits puisque la mort a partout le même visage.

Cette région stratégique a subi depuis les Phéniciens tant d'invasions qu'elle est un monde en réduction par sa diversité, véritable pont entre l'Orient et l'Occident, le passé et l'avenir, peut-être même entre le ciel et la terre par l'immensité de la Foi de ses habitants.

Ce peuple avec un coeur gros comme ça a su accueillir les réfugiés palestiniens. Il a toléré des années durant le véritable Etat dans l'Etat de cette communauté, et subi les assauts de ses puissants voisins intéressés par son territoire, mais aussi des puissances plus lointaines qui pour des motifs politiques, religieux ou simplement économiques utilisent ce pays pour leurs guerres indirectes et essais d'armes en grandeur réelle. Quand on demande qui gagne aux combattants, lors des nombreux accrochages entre les divers groupes armés, ils répondent avec un sourire désabusé:'les vendeurs d'armes'.

La vraie image du Liban au bout de quatorze ans de guerre, c'est ce soldat blessé sur un lit d'hôpital improvisé, avec posés à ses côtés, pointés dans la même direction, une Kalachnikov soviétique et un fusil M 16 américain.

Mais aussi et surtout ces jeunes qui n'ont connu que la guerre et qui voient passer leurs meilleures années dans un cauchemar, n'ayant souvent pour seule possibilité de gagner leur vie que de s'engager dans les milices qui leur donneront de quoi s'acheter une paire de chaussures par mois avec des Livres Libanaises qui ont perdu en quelques années plusieurs centaines de fois leur valeur.

Ce sont ces albums de famille où l'on a plus vite fait de citer les survivants sur une photo, certaines mères ayant perdu tous leurs fils dans les heures qui suivirent le départ des Israéliens en 1983, des familles entières ayant été exécutées lors des divers massacres dont les récits font douter de la raison humaine.

Le Liban est à bout de force par la multitude et la puissance des tourments qui le rongent, sa population n'ose plus que demander l'espoir que cela s'arrange, délaissée par une France irresponsable qui lui a laissé comme héritage une constitution qui concentre tous les pouvoirs dans les mains d'une minorité chrétienne. Cette même France des droits de l'Homme que l'on soupçonne d'avoir enseigné, sur la terre de Dieu les dix commandements de l'inégalité, pour préserver un contrôle chrétien sur un territoire à majorité musulmane.

Pourquoi n'y a-t-il pas eu de recensement depuis 1932? Pourquoi certaines minorités n'avaient-elle même pas droit à une carte d'identité ?

Alors que l'on essaie de montrer les Libanais comme un peuple terroriste, est-on sûr qu'une des raisons principales de l'éclatement du conflit en 1975 ne provient pas de la montée des forces démocratiques dans une région plus portée sur les dictatures qui se voyaient ainsi mises en danger ?

Que penser de l'intolérance religieuse que l'on souligne au point de faire de ce combat constitutionnel une guerre de religions, lorsque l'on assiste en plein Chouf à une messe de minuit maronite, amené à l'église par des religieux Druzes, près d'une école où apprennent ensemble depuis des générations les enfants des deux confessions ?

Les forces internes ou externes qui luttent contre la liberté et ont empêché la tenue d'élections démocratiques depuis 1972 ne pourront cependant rien contre le courage et la fierté d'un peuple qui reprend sa vie normale dès que les bombardements cessent. Tant qu'il y aura des bougies et des voix pour chanter, le Liban vivra. Car ce pays sans Etat est devenu la première anarchie qui fonctionne dans le monde. Son unité ne se résume plus qu'au nom qu'il porte, son code de la route réduit à la conduite à droite, mais il tient, grâce à la solidarité et au respect de l'Homme que la grande majorité de la population observe.

Mais combien de temps encore les Libanais devront-il porter le fardeau des fléaux de la terre qui, exacerbés par leur caractère explosif dévastent la fragile cohabitation des croyances, symbolisée par Beyrouth qui éclate sous le plus beau ciel du monde?

Le mur des lamentations n'est plus à Jérusalem, il commence à Berlin pour finir sur la ligne verte, en passant par les coeurs déchirés des victimes de l'intolérance.

Mais les conditions ne sont-elle pas réunies pour que le Proche-Orient retrouve la paix ? Les territoires occupés par Israël ne sont-ils pas de façon évidente destinés à former un vrai état palestinien ?

Les Nations Unies vont-elles enfin cesser d'être un spectateur partial ou impuissant ?

A l'heure où la démocratie montre ses imperfections puisqu'elle écrase les minorités, ne peut-on créer une force de proposition pour adapter des constitutions à géométrie variable, distribuant les pouvoirs et responsabilités aux strates ethniques et culturelles d'une population?

Le redécoupage du Proche-Orient pourrait être l'embryon d'un nouvel équilibre administré par une assemblée de représentants élus.

Tous les soulèvements populaires sont autant d'indices qui prouvent le besoin d'un redécoupage géographique pour préparer l'ordre démocratique mondial sur la base des régions, mieux adaptées à la dimension de l'Homme.

La reconnaissance des frontières et leur garantie par une force militaire mondiale neutre préserveraient la paix dans les régions 'chaudes' du globe, attisées par la cohabitation de populations ennemies dans un même espace politique.

Une régionalisation de la planète serait un pas déterminant vers la solution des problèmes au proche Orient, mais aussi dans d'autres parties du monde.

Quant à la religion, stimulée par le millénarisme et les échecs de la prétentieuse science humaine, son utilisation politique excessive est en opposition avec les principes de toutes les croyances monothéistes. Les Arabes le savent d'autant mieux que dans la diversité de leur Foi, ils appellent tous Dieu par le même nom:'Allah'.

Les Palestiniens sont-ils sûrs de ne pas avoir aussi une part de responsabilité dans la réalité du verset 83 chapitre 5 du Coran, puisqu'ils avaient juré la destruction d'Israel qui existait déjà il y a deux mille ans, si l'on en croit la Bible qui est par son Ancien Testament à l'origine de leur Livre?

L'intégrisme religieux de toute origine ne peut qu'être le fait d'individus qui ne suivent pas les principes de leur Foi, et entraînent ceux qui leur obéissent dans l'erreur par l'interprétation orientée des textes afin de pousser les peuples du même Dieu les uns contre les autres.

Il faut se méfier de ceux qui se déclarent eux-mêmes purs (Cf chap.53, vers.33) pour condamner à mort, car il y a toujours le risque que la victime de l'acte volontaire de tuer soit un croyant (Cf chap.4, vers.94). Les voies du Seigneur sont impénétrables, mais s'Il a donné aux hommes différentes manières de l'adorer (Cf chap.22,vers.68), ce n'est certainement pas pour qu'ils s'entre-tuent en Son Nom (Cf chap.49, vers.10), mais pour qu'ils enrichissent leur Foi par l'union de leur pratique modérée (Cf chap.17,vers.111). C'est peut- être cela, l'exercice de la tolérance...

Une religion puise sa force dans la mesure de ses pratiquants (Cf chap.2,vers.191) et l'Islam donne sans doute son message universel dans le verset 152 du chapitre 26:'Ne obeu la ordonon de la ekscesantoj'.

A l'heure des catastrophes écologiques qui risquent de remettre en cause la vie sur notre planète, l'Humanité peut-elle se permettre le luxe d'une nouvelle guerre mondiale, qu'elle soit de nature politique, économique ou religieuse?

Les progrès des moyens d'information et l'accumulation des moyens de destruction, forme répartie de l'arme absolue poussent à la mondialisation de la conscience individuelle, et la répétition des erreurs du passé met en cause l'existence même de l'Homme.

Les forces de l'apaisement sauront-elles contrer les démons de la guerre?

A chacun sa réponse, mais ceux qui se réfugient derrière le spectre de la fin du monde pour justifier leur passivité insouciante ne peuvent qu'être perdants, car s'ils ne croient pas en Dieu, leur sort sera le même que celui des veaux dans notre société de consommation. Les autres sont-ils prêts à comparaître pour le jugement dernier?

L'Histoire de l'Humanité retiendra la cruauté des peuples barbares dont certains pousseront peut-être le cynisme jusqu'à justifier le suicide collectif par la volonté populaire de la démocratie.

Qu'il est douloureux de critiquer un peuple qui a déjà tant souffert, mais comme il est insupportable de voir les hommes refaire les mêmes erreurs...

Pour qu'Israël revienne sur le chemin de l'avenir par la reconnaissance au peuple palestinien du droit d'exister, pour que les Arabes offrent aux Juifs le droit de vivre en paix sur leur ancienne terre, pour le Liban, pour que l'Histoire ne se répète pas!

 

 

Rennes sud, Beyrouth ouest Avril 1989 Z.