Mein Krampf.

 

Trente ans après le traité de Rome, peut-on dire que l'Europe est adulte ?

La communauté européenne qui s'était construite sur les ruines et le souvenir de la seconde guerre mondiale s'est peu à peu élargie aux douze membres actuels. L'Europe des perdants de 1945 a su reconquérir sa crédibilité mondiale et retrouve dans son unité la force de choisir elle même son destin. Les grands hommes qui font déjà partie de sa courte Histoire moderne sont unanimement reconnus et ont prouvé par leur sagesse qu'il est possible de construire grand sans tomber dans l'excès et la précipitation, grâce à une réflexion sur les erreurs passées et le respect des peuples qui composent notre continent. Les échéances calculées en tenant compte des possibilités de chaque partenaire ont permis d'atteindre la plupart des objectifs fixés. Un système démocratique cohérent et s'adaptant au fur et à mesure de l'évolution géographique et politique de l'Europe s'est rôdé afin d'acquérir les pouvoirs de gouverner sans risque de dérapage vers la dictature ou l'hégémonie d'une nation sur les autres. L'ouverture des frontières économiques prévue pour 1992 marquera le début de l'homogénéisation industrielle de l'Europe après celle de l'agriculture. Une politique de redistribution des richesses produites permettra alors d'envisager la société post-industrielle qui est l'aboutissement des étapes agricoles et industrielles du développement. Cependant, si les dirigeants construisent l'édifice européen avec succès puisqu'ils ont réussi à briser le cycle infernal des guerres sur ce continent, les préjugés populaires ont la vie dure.

 

Si on prend l'exemple de l'axe Paris-Bonn qui fut la première poutre de l'édifice européen, il est facile de mesurer l'énorme différence qui existe entre l'estrade officielle et la réalité populaire. Est-il acceptable d'entendre certains jeunes allemands se culpabiliser sur leur mauvais passé alors qu'ils appartiennent déjà à la deuxième génération d'Européens d'après guerre? Ce sentiment est pourtant largement alimenté par les médias allemands lors de leurs multiples références aux années noires du national-socialisme ainsi que par les autres populations européennes qui ne manquent pas de rappeler l'Histoire, surtout si cela permet de 'gratter' quelques pour-cent dans une négociation avec la R.F.A. Est-il nécessaire de recréer un péché originel spécial pour les jeunes allemands alors qu'il existe déjà dans la Bible, support des religions en Europe ? Et le jugement de l'homme de la rue en R.F.A. sur la société française qu'il considère comme trop anarchique avec ses grèves et manifestations qui entravent son développement et risquent de la transformer en remorque de l'économie allemande ? La traversée du Rhin dans les deux sens enseigne très vite ce qui se cache derrière les termes 'efficacité allemande' et 'individualisme français'. Pourtant la pensée qu'il y a seulement quarante-deux ans, ces deux peuples se battaient entre eux permet d'espérer une normalisation des rapports entre ceux-ci, aboutissant à une relation comparable à celle des Français et des Anglais, ennemis jurés pendant des siècles, qui ont reconnu leur richesse mutuelle et leur complémentarité dans le vingtième siècle. Mais à quand la complicité franco-allemande ? Si les générations de combattants des deux guerres mondiales ont réussi à faire la paix, il reste aux jeunes générations de l'après guerre à vivre en paix, c'est-à-dire à respecter tous les peuples européens au même titre que le sien et donc s'élever à une conscience européenne qui est le ciment de l'unité. Les nombreux échanges entre les états, notamment par le jumelage entre les villes, l'apprentissage généralisé des langues vivantes et l'élargissement des télévisions nationales aux réseaux câblés étrangers contribuent certainement à une meilleure communication entre les peuples. Mais la compréhension ne peut s'atteindre qu'après un effort vers l'Autre qui suppose une distance par rapport à sa propre culture.

Existe-t-il par exemple une vision européenne de l'Histoire ? Si les Allemands ont en grande majorité un point de vue similaire aux autres peuples européens sur leur propre Histoire moderne, les Français gardent toujours un culte sans réserve pour Napoléon malgré les atrocités dont furent victimes les populations qui vécurent sous sa botte. Oublient-ils que ce passage glorieux de leur Histoire a largement contribué à l'unification de l'Allemagne contre l'envahisseur français ? L'objectivité issue de l'union des points de vue des peuples de la communauté européenne est trop souvent entravée par une concurrence, bizarrement due à l'admiration mutuelle des nations. Une estime partagée serait certainement plus à même de remplacer cette concurrence par une émulation plus constructive. Comment vouloir regarder l'avenir en commun si l'on n'appréhende pas le passé ensemble ? La naissance d'une culture européenne faite des convergences mais aussi des différences ne peut qu'être le fruit du sacrifice des nationalités par les individus. Déjà la conscience bi- ou plurinationale d'une fraction de la population a permis de resserrer les liens entre les pays européens, mais la construction de l'Europe de la paix est liée à sa régionalisation. Tout observateur d'une carte des régions européennes est frappé par son équilibre, et les mouvements autonomistes dans le cadre de l'Europe sont autant de preuves du besoin de régionalisation. Bretagne, Catalogne, Corse, Pays Basque sont quelques exemples d'identités culturelles bafouées. La reconnaissance de leur autonomie dans de cadre européen apporterait certainement plus de paix que la contrainte de les retenir dans un carcan national qui n'a plus raison d'être au sein d'une Europe politique fédérale. L'appartenance de la Bretagne à la culture française serait certainement plus unanime si elle pouvait s'accompagner de son identité régionale. Car si la révolution française est la principale fierté des Français avec leur cuisine, elle a le goût amer de l'annexion pure et simple pour les Bretons. Celle-ci fut prolongée par l'agonie de l'âme bretonne dont la langue n'a pas encore surmonté l'enseignement uniquement en français et les directives du type 'il est interdit de cracher par terre et de parler breton'. Quant à ses fils, ils ont souvent péri sur les premières lignes le l'affrontement franco-allemand de 1914-18, aux côtés des noirs colonisés, pendant que leurs femmes jouaient le cheval d'orgueil en tirant elles-mêmes la charrue pour survivre. Ce n'est sans doute pas un hasard si le pourcentage des victimes de la première guerre mondiale est deux fois plus élevée pour les Bretons que pour la France. Est-il étonnant que des mouvements pro-Allemands aient vu le jour au début de la dernière guerre contre ceux-ci, comme en Irlande contrôlée par l'Angleterre ? Les Bretons retrouvent certains accents de leur musique chez des groupes Kölsch et des comportements semblables chez les Lorrains ou les Bavarois, sans parler de leur ressemblance naturelle avec leurs cousins celtes d'Irlande, d'Ecosse, du pays de Galles et de Galice. Ils sont donc certainement plus aptes à construire l'Europe avec leur identité qu'avec le masque d'une France hantée par le colonialisme et l'impérialisme de son Histoire.

Les siècles passés sont là pour prouver que si la Bretagne représente souvent pour ses habitants le plus beau pays de monde, nos voisins européens n'ont à redouter aucune domination de sa part. Quant aux Américains, ils sont hors de portée de nos lance- pierres. La généralisation du statut d'état libre comme en Bavière atténuerait les conflits dans certaines régions et réveillerait la culture d'autres. La France doit se décentraliser pour vivre à l'heure européenne. Mais pourquoi parler de réunification de l'Allemagne qui fait encore peur par son passé relativement récent ? Ne serait-il pas plus profitable pour la R.F.A. de continuer dans la voie européenne tout en améliorant les relations économiques et culturelles avec la R.D.A.? Car le jour où la Porte de Brandebourg s'ouvrira, ce sera pour sceller l'amitié de toujours entre l'Europe et l'U.R.S.S., celle-ci se prolongeant jusqu'à notre soeur jumelle la Chine. Ce sera alors la résurgence des cultures nationales qui seront les intermédiaire entre les régions et les continents, purifiées de leurs tendances hégémoniques mais toujours fortes de la fierté qu'auront leurs régions de leur appartenir. L'Europe nouvelle sera peut-être alors à même de racheter son passé qui l'a conduite de guerres, inquisition et esclavage à affamer l'Humanité en passant par les camps de concentration et les chambres à gaz. Elle pourra écouter ses idéalistes en évitant les pièges du culte de la personnalité et de l'idéologie, afin de trouver en eux un sens de l'avenir, sans toutefois risquer l'injustice de la dictature qui est la preuve de la démission d'un peuple, car elle saura offrir aux individus la possibilité de réussir. Hitler aurait peut-être été un merveilleux chanteur de Rock... Son unité sera la preuve que l'Homme peut lutter contre la haine et que les guerres ne sont pas inévitables.Son système économique et politique sera prêt à la confrontation des expériences qui mènera à l'harmonie des quatre blocs de cette fin du vingtième siècle.

 

L'approche du troisième millénaire favorisera certainement la création d'un nouveau 'machin', l'Organisation des Régions Unies qui jouera le rôle d'une Assemblée Mondiale, tandis que l'Organisation des Nation Unies sera le Sénat d'un parlement servant de base à un gouvernement qui gèrera la nourriture et la santé, besoins essentiels de l'Humanité, et jouera peut être un rôle efficace dans les négociations entre états. Une vision politique, économique et culturelle à plusieurs niveaux correspond au monde à quatre dimensions dans lequel nous vivons et, si l'image que nous offrirons à l'Histoire à l'instant du passage de l'an 2OOO est immobile, elle pourrait, si elle est empreinte d'une foi en l'avenir, être le début d'une paix durable, pourquoi pas mille ans. Mais pendant que s'épanouit le monde quaternaire de l'axe Est-Ouest, il existe une vérité binaire tout aussi pressante car les voyages et les médias accélèrent la prise de conscience des peuple du tiers monde sur l'injustice entre le Nord et le Sud. Il est donc urgent de prendre des mesures efficaces pour enrayer la guerre qui ne manquera pas de survenir, poussée par la haine des affamés qui n'ont plus rien à perdre. Il ne reste que deux solutions radicales: soit leur apporter une aide massive, soit les massacrer.

Et Toi, le lecteur, que choisis tu ?

 

Erlangen - Rennes Juin 1987 Z.